Essayez… Essayez pour voir… Essayez d’écrire « robe de mariée » sur le moteur de recherche GOOGLE et vous serez immédiatement dirigé vers une pléthore de sites qui vendent des robes de mariée chinoises à moins de 100 euros. Sur les photos, les coupes semblent parfaites, les matières, précieuses et les couleurs, plus vraies que nature. Vous pourrez même enregistrer sur ces sites vos mensurations de manière plus ou moins précise et vous aurez ainsi l’impression de commander une robe « sur mesure ».
La magie de l’économie virtuelle se renouvelle chaque fois que, nous cherchons sur l’internet notre future robe de mariée. Notre moteur de recherche nous renvoie alors, invariablement, vers les sites les mieux référencés qui sont invariablement … chinois. Rien d’étonnant à cela: le marché du textile sur le Net est dominé par les fabricants de l' »Empire du Milieu ».
Existe-t-il une clientèle « premier prix »?
Des artisans couturiers, de moins en moins nombreux, fanfaronnent et prétendent qu’il n’y a aucune comparaison possible entre leurs oeuvres et les productions asiatiques, que la clientèle est très différente, et que, de toute manière, les robes artisanales restent inabordables pour les « acheteuses de robes chinoises »…
Nous n’en sommes pas si sûrs. En premier lieu, parce qu’il n’y a pas une clientèle-type pour les productions « premier prix » : nous achetons tous, à un moment ou à un autre, des vêtements ou des objets fabriqués en Chine même si nous avons les moyens d’acheter des produits plus chers et de bien meilleure qualité. En second lieu, parce qu’une robe de mariée artisanale n’a pas de prix « standard » et qu’elle n’est pas nécessairement « hors de prix »: le prix dépend du design, des matières utilisées et surtout du travail. Des robes plus simples, avec des matières moins précieuses peuvent être proposées à des prix tout à fait abordables.
Les productions artisanales 100% françaises sont donc aussi concurrencées par des sociétés qui proposent des robes de mariée entre 40 et 400 euros et qui s’auto-proclament « leader mondial des ventes en ligne de robes de mariée« . Où sont produits ces vêtements? Cette information n’est pas immédiatement accessible. L’opacité est la règle et tout l’argumentaire du vendeur est dans le prix. Tout au plus dans la fiche « Contact » vous trouverez l’adresse d’une petite société au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas qui sert d' »agent commercial » en Europe.
Si vous êtes d’un naturel persévérant et vous voulez découvrir la véritable structure de ce type de groupe multinational il faut lire, tout en bas de votre écran, la page « Conditions Générales »: vous êtes alors discrètement informé que l’entreprise qui propose des robes de mariée « premier prix », a son siège social à Hong Kong, produit ses robes en République de Chine et traite vos paiements au Royaume-Uni. Ouf! Il suffisait de le dire… Il n’y a rien de honteux à distribuer, à prix « discount », une production de masse. Pourquoi tenter de le cacher?
Le rapport qualité-prix
Il est moins glorieux, en revanche, de vendre des vêtements « made in China » au prix de la couture artisanale ou du prêt à porter de luxe, or ce type de pratique commerciale est de plus en plus fréquent dans le grand marché virtuel.
Même des marques qui, sur internet, semblent se référer au savoir-faire des ateliers espagnols ou italiens, font aujourd’hui produire en Asie la quasi-totalité de leurs robes de mariée. Vous trouverez ces mêmes produits en boutique chez des distributeurs près de chez vous mais ne soyez pas étonnée lorsqu’ils vous annonceront entre deux et trois mois d’attente pour recevoir le modèle de votre choix: on ne triche pas avec les délais de livraison.
Le « made in China » vendu à plusieurs milliers d’euros? On paye une marque et un design passe-partout mais à y regarder de plus près, la qualité des matières et surtout du travail, ne sont pas toujours au rendez-vous: à ce prix là les revendeurs peuvent bien offrir quelques retouches à leurs clientes.
Ce n’est pas la production de masse en elle-même qui doit gêner les consommateurs que nous sommes, à condition que les prix de vente soient ceux proposés par les fabricants asiatiques et non pas ceux pratiqués par les artisans français. Ce qui fait problème, la plupart du temps, c’est le rapport qualité-prix.
Le luxe accessible à tous?
Pour certains, une robe achetée sur internet à plusieurs milliers d’euros, ce serait presque du « luxe », mais le luxe ce n’est pas juste une équipe de stylistes occidentaux qui dessine des modèles à 10.000 kilomètres des lieux de production. C’est aussi, chaque fois que cela est possible, continuer à produire en France avec des matières premières locales. Impossible? N’oublions pas que, contrairement à d’autres créateurs, Karl Lagerfeld n’a jamais accepté de faire produire en Chine ses vêtements et, que, pour que le savoir-faire français ne disparaisse pas, la maison Chanel avait même racheté certains de ses sous-traitants (bottiers, brodeurs, plumassiers, paruriers) et préservé les emplois. Mais Karl, c’était « Karl ».
Aujourd’hui on nous propose du prétendu « luxe » à la portée de toutes les bourses : « Lagerfeld » au prix de « H&M », le beurre et l’argent du beurre. C’est cette illusion du « en même temps », savamment entretenue par la publicité, qui alimente nos désirs de pacotille.
Désirs de pacotille
La « pacotille », c’est mieux que rien. Il n’y a aucun mépris dans ce constat. L’important est de savoir ce que l’on achète et de ne pas être dupe. Car l’internet est aussi un lieu de duperie, une place de marché planétaire où il n’existe plus aucune barrière douanière, mais aussi sociale, sanitaire ou écologique et où seule compte la visibilité sur les moteurs de recherche.
Je me reconnais aussi dans cette masse de consommateurs compulsifs qui ne savent plus distinguer la copie de l’authentique, l’éphémère du durable, ce qui a de la valeur de ce qui n’a qu’un prix. En ces temps difficiles le prix est devenu le seul véritable discriminant de notre vie de consommateurs captifs.
L’hommage du vice à la vertu
Dans cet univers en carton-pâte, le travail artisanal fait figure de « parent pauvre » alors qu’il est, le plus souvent, la principale source d’inspiration de la grande distribution. Ce sont souvent les stylistes de Haute Couture qui « donnent le la » à la mode saisonnière et qu’est-ce-que la Haute Couture sinon un travail artisanal d’excellence à la fois original et visionnaire?
Ainsi, même les productions asiatiques les moins exigeantes s’inspirent, sans complexes ni scrupules, des créations des artisans.
En ce sens, la production de masse serait, en pastichant François de La Rochefoucauld, « l’hommage que le vice rend à la vertu« .